Les normands connaissent bien le Muséum d’Histoire Naturelle de Rouen, l’un des plus anciens de France, avec ses nombreux animaux exotiques naturalisés provenant de ménagerie de la foire Saint-Romain, et ses collections de zoologie, de paléontologie, d’objets préhistoriques et ethnographiques, qui font voyager le visiteur dans le temps, et sur tous les continents.
Ce muséum du XIXe siècle, fondé en 1834 dans un couvent du XVIIe siècle, a été un lieu majeur des sciences naturelles au XIXe siècle, destiné à l’enseignement, la recherche et la pédagogie auprès du grand public, avec les facultés de Médecine et de Pharmacie situées à proximité, qui conservent encore sans doute le plus ancien amphithéâtre en bois de Normandie.
Ce Muséum est l’un des derniers en France à avoir su garder sa muséographie d’origine et à avoir préservé l’esprit des lieux, ainsi que l’ambiance du XIXe siècle, avec ses vitrines d’origine en verre soufflé, ses étiquettes écrites à la main, ses planchers qui craquent, et ses escaliers en bois qui donnent à ce lieu un charme unique, qui a inspiré de grands écrivains comme Gustave Flaubert, Jules Michelet, Guy de Maupassant et plus récemment Philippe Delerm.
Quel visiteur n’a pas été émerveillé en déambulant dans ce dédale de pièces où le temps s’est arrêté il y a plus d’un siècle ? Parcourir ce vieux Muséum est comme faire un voyage dans l’univers fantastique de Jules Verne ou de Harry Potter, enveloppé par ce charme désuet et poétique, en découvrant des animaux étranges, des masques africains, des objets préhistoriques et bien d’autres curiosités, rapportées du monde entier par les explorateurs du XIXe siècle. Car c’est bien cette authenticité et cette atmosphère Belle époque, qui fait de ce Muséum un élément exceptionnel et irremplaçable de notre patrimoine culturel.
Pourtant, ce Muséum va être entièrement détruit dans le cadre de la construction du pôle muséal Beauvoisine qui a pour objectif de « repenser dans leur intégralité les collections du musée des Antiquités et du Muséum autour d’un nouveau parcours », avec une modernisation assumée « pour répondre aux attentes de la majorité des visiteurs actuels », pour un musée plus consacré « à l’émotionnel et au ressenti des visiteurs ».
Toutes les salles du XIXe siècle, toute la muséographie d’origine ainsi que les anciennes vitrines vont être supprimées pour une nouvelle scénographie high-tech, de nouvelles vitrines, à l'exception d'une salle, conservée à titre de "relique". Même le magnifique escalier en colimaçon du XIXe siècle sera envoyé à la casse au prétexte qu'il n'est « pas aux normes ». Les planchers et plafonds à la française en bois, dont certains datent de 1640 et pourtant en bon état de conservation, seront remplacés par des dalles béton, les vieux escaliers, comme celui à balustre du XVIIe siècle, remplacés par des escalators, et toutes les superbes vitrines anciennes et les menuiseries, envoyées à la benne, pour laisser place à un ensemble résolument contemporain.
Le Muséum ne fêtera donc pas en 2028 son 200e anniversaire, mais bien son enterrement, pour ne pas dire son assassinat.
Pourtant entièrement remis aux normes en 2006 et bénéficiant d’une grande fréquentation, ce musée de Muséum va être sacrifié sans aucune consultation publique (jusqu'à présent) auprès des rouennais et des habitants de la Métropole. Il y a bien eu une parodie de « réflexion citoyenne » mais au cours de laquelle la question de sa conservation ne semble même pas avoir été évoquée.
Ce projet de « pôle muséal Beauvoisine », au coût pharaonique de 70 millions d’euros, prévoit aussi la construction d’une tour de 3 étages qui va dominer le quartier ancien, la pose d’une verrière sur le cloître, aussi élégante que celle d’une galerie commerciale, et la construction d’une cafeteria en forme de cube au milieu du parc arboré, là encore inadaptée à l’environnement architectural.
Ne sont pas concernés dans ce projet les bâtiments des facultés de pharmacie et de médecine (dont l’amphithéâtre pourrait pourtant être bien utile pour des conférences) sur lesquels pèse la menace d’une vente à des promoteurs privés pour un hôtel de luxe, ou pire, leur démolition pure et simple.
Nous nous opposons donc fermement à la disparition du Muséum d’histoire naturelle du XIXe siècle et réclamons qu’il soit préservé en l’état, et restauré de façon respectueuse en conservant la muséographie et les vitrines d’origine, en intégrant les facultés de médecine et de Pharmacie, et bien évidemment de nouvelles salles pour une scénographie réactualisée mais sans dénaturer le cadre architectural.
Cet ensemble exceptionnel et irremplaçable fait partie de l’histoire de la ville de Rouen depuis deux cents ans, et constitue aujourd’hui l’un des éléments majeurs de son patrimoine culturel.
A ce titre, sa destruction représente un réel massacre patrimonial indigne d’une ville qui revendique le titre de capitale européenne de la Culture.